Un petit top rayé blanc et bleu à col bateau et manches longues, porté aussi bien par les marins pêcheurs que les fashionistas. La marinière est aujourd'hui un vêtement quasi banal, un basique mixé à toutes les sauces, des séries mode à la rue. Cette pièce a pourtant mis un certain temps à gagner nos armoires, et reste intimement liée à l'émancipation féminine. L'un des premiers vêtements d'homme devenu une histoire de femmes.
De l'uniforme à Coco Chanel
La marinière jadis appelée tricot rayé fait tout d'abord partie de l'uniforme du marin. La rayure évoque une certaine marginalité, une classe à part. Dès 1858, le tricot rayé répond à des règles très strictes et comporte "21 raies blanches larges de 20 millimètres et 20 ou 21 raies bleues larges de 10 millimètres; pour les manches, 15 raies blanches et 15 raies bleues"*. Il est en jersey, ses manches trois-quarts ne doivent pas dépasser de la vareuse, et son col monte au ras du cou. C'est un vêtement avant tout confortable et pratique pour la navigation et la vie à bord.
Les enfants sont les premiers "civils" à porter la marinière et la tenue des petits mousses. Les mamans s'approprient petit à petit la panoplie du marin, et la rayure fait son apparition sur les robes et les costumes de bain.
Mais il faudra attendre les années 1910 et Gabrielle Chanel, inspirée par la tenue des marins de Deauville où elle tient une boutique, pour que la marinière entre véritablement dans le dressing féminin. La créatrice souhaite proposer une alternative au costume de bain qui dévoile la nudité des femmes, et incarne une certaine vulgarité selon elle. La mode du bord de mer gagne alors la capitale et ne se porte plus uniquement à l'occasion des bals costumés parisiens. Coco Chanel détourne l'un de ses premiers vêtements masculin et apporte un peu plus de confort aux femmes, habituées aux corsets.
Saint Laurent, Gaultier, Marras et les autres
Petit à petit, les marins s'invitent sur les podiums. En 1962 et 1966, pour ses collections Printemps-Eté, Yves Saint Laurent revisite la casquette, le caban, le pantalon de lainage, le double boutonnage et ajoute des paillettes à la marinière qui prend des allures de robes pull. Karl Lagerfeld perpétue la tradition Chanel et détourne régulièrement le tricot rayé. Sonia Rykiel, qui n'est pas en reste sur la rayure, lâche un temps les couleurs de l'arc en ciel pour du bleu ciel et du blanc pour sa collection Printemps-Eté 2002. En 2006, Antonio Marras pour Kenzo décline la marinière en robes longues, blouses larges et robes en crochet. Mais c'est surtout Jean-Paul Gaultier qui en fait sa marque de fabrique en la portant lui-même, et en la réinterprétant au fil de ses collections. "C'est d'abord le pouvoir d'évocation de ce vêtement qui m'importe, une nostalgie", explique t-il dans un entretien réalisé par Anne Zazzo pour le livre Les Marins font la Mode aux éditions Gallimard. "Et ensuite ce pull marin m'intéresse pour son côté graphique. En prêt-à-porter et en couture, indifféremment. J'ai travaillé ce pull dans tous les matériaux: en autruche, en dentelle, avec des cristaux Swarovski, des paillettes... Je l'ai fait de toutes les manières possibles et impossibles".
Les dernières collections en date prouvent que les créateurs ne se lassent toujours pas, Christophe Decarnin pour Balmain, Marc Jacobs, Dolce & Gabbana, Michael Kors... La marinière s'offre épaulettes ou sequins et n'est pas prête de disparaître.
La marinière pour tous
Aujourd'hui, outre les podiums des grands créateurs, la marinière est un basique que l'industrie du prêt-à-porter propose à des prix très abordables. La presse féminine aidant, sa démocratisation opère dès les années 60, et aujourd'hui des marques telles que Petit Bateau,Armor Lux ou Saint James en ont fait leur pièce phare. Les grandes enseignes se sont également emparées du top rayé, et il n'est pas rare d'en dénicher chez H&M ou Zara. La marinière est devenu un basique pour tous les âges, pour tous les sexes et à la portée de toutes les bourses.